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Discours de Cloture des Assises Nationales
Discours de Cloture des Assises Nationales
Assises Nationales

Séance de Cloture

Discours du Président Amadou Mahtar Mbow

« Notre destin n’est inscrit dans aucune fatalité »
Excellences,
Mesdames, Messieurs les invités
Mesdames, Messieurs les participants aux Assises
Chers amis

Nous voici au terme des travaux des Assises nationales ouvertes ici même, le 1er juin 2008. Avant d’en tirer quelques conclusions, je voudrais en premier lieu saluer tous ceux qui ont bien voulu honorer de leur présence cette cérémonie: les membres du corps diplomatique, les représentants des organisations internationales gouvernementales, les personnalités politiques, religieuses et culturelles, les représentants des partis politiques, des organisations non gouvernementales, de la société civile et tous nos autres hôtes.

Je tiens ensuite à rendre hommage à la mémoire de ceux qui, aujourd’hui disparus, ont encouragé nos efforts ou participé activement à nos travaux. Je citerai parmi eux : le Président Mamadou DIA, décédé il y a quelques mois, à qui avait été dédiée la séance d’ouverture en même temps qu’à notre aîné, le savant chercheur Abdoulaye Ly à qui nous souhaitons longue vie.

Parmi les disparus figurent aussi Moussa Ndiaye de Tekki, le philosophe Sémou Pathé Guèye du PIT, tous deux membres du Bureau des Assises, Boubacar Diop Sambou de la LD, Président du comité départemental de pilotage des Assises de Oussouye, en Casamance, Touradou Guèye qui a apporté une contribution remarquée aux travaux de la commission chargée des problèmes de l’agriculture, et récemment Cheikh Hamidou Kane Mathiara de l’AFP qui a été la cheville ouvrière des consultations citoyennes à Matam.

Nous souhaitons que leur ferveur patriotique et les bienfaits qu’ils ont répandus durant leur vie soient largement récompensés dans l’au-delà. Leur souvenir restera à jamais gravé dans la Mémoire de ces Assises qui ont révélé combien notre pays recelait d’hommes et de femmes désintéressés, décidés à s’unir à tous les autres Sénégalais de bonne volonté, pour mettre leur savoir, leur expérience et leur talent au service d’une seule cause : le redressement national dans la sérénité, la concorde et la paix.

Aussi voudrais-je remercier tous ceux qui, nombreux, ont apporté leur contribution à nos travaux : les présidents, les rapporteurs et les membres des commissions transversales, ceux des commissions thématiques, des comités départementaux de pilotage, des comités de pilotage de la diaspora en Europe et en Amérique du Nord, les facilitateurs des consultations citoyennes, les traducteurs et les interprètes, les personnalités les plus diverses qui ont bien voulu accepter, en se faisant entendre par les commissions, de faire profiter de leur expérience nos travaux. Je ferai une mention spéciale de toutes les personnalités résidant à Dakar, à Saint-Louis ou en Casamance qui ont bien voulu apporter une précieuse contribution aux travaux de la Commission spéciale chargée d’examiner la situation en Casamance

Tous l’ont fait bénévolement, prenant sur leur temps de travail ou de repos. Mes remerciements vont aussi à tous ceux qui nous ont apporté leur encouragement, leur soutien moral, matériel et financier, et au personnel du Secrétariat des Assises qui a travaillé sans relâche souvent sous une forte pression tant il fallait résoudre des problèmes urgents de secrétariat parfois jusque tard dans la nuit.

Il me faut souligner aussi l’inestimable apport du petit noyau constitué autour du Président de la commission scientifique, auquel sont revenues les complexes tâches de la mise au point de la méthodologie des consultations citoyennes et de son application sur le terrain et celle de la préparation des textes finaux dans des conditions souvent difficiles. Je remercierai aussi de façon particulière pour le travail qu’ils ont accompli les Présidents et les membres de la commission d’organisation et des finances et de la commission de communication dont la tâche n’a pas été aisée.

J’exprime aussi notre profonde reconnaissance au Mouvement Citoyen qui, en mettant à notre disposition toute sa logistique, nous a permis notamment de disposer d’un compte en banque et de louer la salle où nous nous trouvons. La même reconnaissance va au Forum civil et à la CNES pour les facilités qu’ils nous ont accordées.

Quant aux membres du Bureau des Assises, qui ont partagé avec moi la lourde tâche de la conduite de nos travaux, et qui m’ont souvent enrichi de leurs réflexions, je leur dois une profonde gratitude comme à tous les participants dont l’affection a été pour moi une source constante d’encouragement et de dépassement. Cette affection, je l’ai ressentie tant dans le pays que parmi les membres de la Diaspora dont l’apport, à tous les points de vue, mérite d’être souligné. La présence parmi nous de leurs représentants d’Europe et d’Amérique du Nord montre toute l’importance qu’ils attachent à nos travaux et à la mise en œuvre de leurs conclusions.

Enfin, je devrais dire combien nous avons apprécié les messages que nous avons reçus de nos compatriotes de l’extérieur qui étudient ou enseignent dans les universités des Etats-Unis, de France ou d’ailleurs, ou qui occupent déjà des fonctions importantes dans différents domaines d’activités. Leur communion de pensée avec tous les Sénégalais qui ont participé aux Assises, témoigne de leur attachement au présent et l’avenir de notre pays et de leur volonté affirmée de contribuer à son renouveau.

L’engagement des uns et des autres, leur détermination, leur courage et leur vigilance ont permis de déjouer les pièges, de résister aux pressions, aux intimidations et aux tentatives de corruption, et de surmonter les nombreux obstacles qui ont été dressés sur le chemin des Assises, en particulier dans les départements dans le but de contrarier le bon déroulement des consultations citoyennes. Car, il faut le dire et le répéter sans cesse, dans un pays où on a trop souvent tendance à tout personnaliser, le travail des Assises a été un effort collectif d’équipes qui, en dépit de la diversité d’origine de leurs membres, ont su travailler dans une parfaite symbiose.

Il faut dire, du reste, que la tâche assignée aux Assises dans les termes de référence adoptés par les parties prenantes, n’était pas simple : elle était surtout sans précédent. Il fallait, tout en s’appuyant sur l’heureuse expérience acquise sur le terrain par certaines parties prenantes et quelques chercheurs, inventer et mettre en place tout un système d’investigations, de concertations pour mener une réflexion collective à deux niveaux : celui des experts groupés au sein des commissions thématiques et celui des populations dans le cadre des consultations citoyennes, et ce, de la façon la plus exhaustive possible.

C’est là une des singularités de ces Assises. Car, pour être valable la démarche devait être inclusive à un double point de vue. D’abord, dans l’éventail des problèmes examinés qui recouvrent tout autant les domaines politique, économique que social, avec un accent particulier sur nos rapports à nous mêmes, à nos valeurs ainsi que sur nos faiblesses mais aussi sur nos forces, et surtout, sur nos potentialités matérielles et humaines, sans négliger, bien sûr, nos relations avec l’extérieur.

En effet, nous ne récusons aucune coopération extérieure dès lors qu’elle respecte nos choix de voir le Sénégal engagé dans une refondation institutionnelle faisant naître une véritable démocratie participative et un complet renouveau économique qui favorise la création de richesses, assure un développement respectueux de l’environnement et permettant de mettre fin à la pauvreté qui affecte encore près de la moitié de la population et au chômage dont sont victimes notamment les jeunes. Mais nous savons que pour relever le niveau de vie de toutes les catégories sociales, en particulier des paysans et des travailleurs des villes, les solutions se trouvent essentiellement en nous-mêmes, en nos propres efforts, en notre aptitude à prendre la responsabilité de nous-mêmes, en notre capacité à imaginer, à innover, à créer, à entreprendre, à organiser, à produire.

D’où la seconde exigence quant à la démarche des Assises, leur caractère inclusif, c'est-à-dire leur ouverture à toutes les catégories de la population. Dès les débuts, toutes les parties prenantes ont exprimé le souhait qu’elles fussent les Assises de tous les Sénégalais, de toutes les organisations de la société civile, de tous les partis politiques sans exception, de toutes les personnalités du pays.

Cette démarche inclusive on la trouve à travers les travaux des huit commissions thématiques qui ont fait l’objet de 8 rapports qui ont été ensuite soumis à des débats publics avant d’être utilisés dans le rapport final de synthèse des Assises. Ce rapport final et les 8 rapports thématiques qui donnent une image de l’ensemble des problèmes du pays, tels qu’elle est perçue par les spécialistes qui y ont travaillé, seront reproduits, notamment, sous forme de CD accessibles à tous ceux qui souhaiteraient en prendre connaissance. Il en sera de même des 35 rapports départementaux et des 3 rapports de la Diaspora (Europe et Amérique du Nord) qui rendent compte des consultations citoyennes à travers tout le Sénégal et auprès des Sénégalais de l’extérieur.

Mais c’est surtout à travers les consultations citoyennes, qui ont été une des innovations majeures des Assises, que le caractère inclusif a été le plus marqué. Pour rompre avec la pratique qui a consisté de tout temps, à élaborer dans les bureaux des ministères des analyses et des solutions, fruits de l’imagination d’experts dont certains, sinon la plupart, ignorent à la fois les réalités profondes du pays et, surtout, les cultures qui fondent l’être des populations et qui sont la source de leur perception des choses, celle de leurs motivations et de leurs actions, les parties prenantes ont décidé dès le départ d’organiser une consultation systématique des populations à travers toute l’étendue du territoire national et dans la Diaspora.

En effet, il n’y a d’innovation ou de changements possibles dans une société que ceux assumés en toute connaissance de cause par les populations qui sont concernées et qui sont appelées à les mettre en pratique, et qui doivent en bénéficier. C’est tout l’enjeu de tout développement endogène comme celui que préconisent les conclusions des Assises.

Aussi, la démarche inclusive et participative qui a été privilégiée dans ces consultations a-t-elle permis de réunir des hommes et des femmes de tous âges, appartenant à toutes les religions, à tous les milieux sociaux, à toutes les catégories professionnelles, paysans, éleveurs, pêcheurs, artisans, intellectuels arabisants et non arabisants, employés de toutes catégories, chefs d’entreprise, syndicalistes, laïcs et religieux etc. Tous ont pu s’asseoir ensemble, se parler, s’écouter, débattre des problèmes les plus divers concernant aussi bien leur vie de tous les jours que la marche et l’avenir du pays, et trouver, des solutions consensuelles acceptées par tous et susceptibles de changer le cours de notre histoire commune. Ce consensus n’est pas seulement de pure forme, puisque tous ont pris l’engagement de contribuer à la réalisation des solutions proposées.

Pour parvenir à ce résultat, il a fallu réunir au niveau national d’abord, dans le cadre départemental et dans la diaspora ensuite, des personnes appartenant à des partis politiques différents dans leurs options idéologiques et dans leurs parcours, parfois antagoniques, et les membres de la société civile, pour leur permettre de mieux se connaître, de mieux se comprendre pour travailler ensemble en toute confiance. Ce n’est pas le moindre des acquis des Assises que de prouver ainsi qu’en dépit de la profusion des partis politiques, il y en aurait 150, et du nombre élevé de mouvements syndicaux, qui sont les signes évidents d’un fractionnement de la société, des hommes et des femmes préoccupés du seul l’intérêt général peuvent unir leurs pensées et leurs forces pour les mettre au service du redressement national.

Comme je l’ai déjà dit, les rapports émanant des départements et de la Diaspora seront également mis sur CD, de même que le résumé du rapport de synthèse qui permet une lecture rapide des propositions de rupture ainsi que le texte de la Charte adopté à l’issue des Assises et signé par les parties prenantes et qui les engage, désormais, dans leur vie de citoyen et dans leurs action politique, économique et sociale.

Tous les rapports et la Charte sont les fruits de la pensée et du travail bénévole des Sénégalais ; toutes les ressources qui ont financé les Assises et de nombreuses prestations de services proviennent des seules contributions volontaires des Sénégalais de l’intérieur et de l’extérieur, comme nous en avions pris l’engagement au moment de l’ouverture des Assises.

Un peuple ne peut assumer librement son destin que s’il est en mesure de réfléchir par lui-même sur ses propres problèmes pour leur trouver des solutions à la mesure de ses aspirations. Et cette réflexion, il importe de le souligner, a été menée, sans doute pour la première fois, dans une parfaite harmonie entre des intellectuels arabisants et non arabisants.

Aussi, avons-nous la conviction - les messages que nous recevons de partout nous le confirment - qu’à défaut d’avoir obtenu la participation aux Assises du parti politique au pouvoir, malgré nos appels réitérés, les résultats de ces rencontres et la Charte en particulier, reflètent le sentiment sinon général du moins celui de la plus grande partie des Sénégalais. Tous sont attachés aux principes démocratiques et républicains, à la transparence, à la rigueur, à la sauvegarde des intérêts nationaux, à l’élimination de la pauvreté, à l’amélioration des conditions de vie des populations, et à la paix sociale. Tous s’accordent qu’il faut refonder les institutions pour conduire le pays d’une autre manière, tant sur le plan politique, économique que social.

Aussi faisons-nous un appel pressant à tous les partis politiques, y compris ceux qui ne se sont pas associés aux Assises au départ, à toutes les organisations de la société civile, à tous les dignitaires religieux, à tous les intellectuels arabisants et non arabisants, à toutes les notabilités du pays , à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté de l’intérieur et de l’extérieur du pays pour qu’ils se joignent au consensus réalisé dans le cadre des Assises nationales en signant la Charte de gouvernance démocratique, en travaillant à sa diffusion et à sa mise en œuvre, et en participant au Comité de suivi qui va être mis en place.

Nous faisons appel aussi à tous nos partenaires extérieurs pour qu’ils mesurent le sens de la démarche initiée par les Assises et la portée de la Charte dont l’application constitue la seule alternative à une situation qui, si elle perdure, risque de mener notre pays dans des voies sans issue.

Cette Charte définit la vision que tous les signataires ont du Sénégal nouveau à l’émergence duquel, ils s’engagent unanimement à oeuvrer dans leur comportement et leur action de citoyen et dans l’exercice de tout mandat et de toute responsabilité.
Le Sénégal est :
- un Etat laïc, souverain, uni dans sa diversité dans une Afrique solidaire et ouverte sur le monde ;
- un Etat où règne le Droit, où la gouvernance est fondée sur l’éthique, la démocratie participative, la concertation, le respect des institutions et des libertés individuelles et collectives ;
- un Etat qui assure la défense des intérêts nationaux ;
- un pays de justice sociale et d’équité avec des citoyennes et des citoyens égaux en droit, animés d’un haut degré de sens civique, engagés dans un développement durable s’appuyant sur un aménagement harmonieux et équilibré du territoire, et sur une sécurité nationale crédible.

Voilà désormais posé un jalon historique dans l’évolution de notre pays et dans sa marche vers la plénitude de la démocratie et vers le progrès de ses habitants. La philosophie de la Charte repose sur un juste milieu entre « politique » et « économique », car nous savons qu’il n’y a de bonne orientation économique que dans un bon fonctionnement des institutions et dans une bonne éthique de gouvernement. Car s‘il faut se méfier du « tout politique » qui peut être sujet à tant de turpitudes et du « tout économique » qui peut conduire à des dérives comme celles qui affectent si cruellement aujourd’hui le quotidien de beaucoup de peuples à travers le monde, nous avons privilégié- et je m’adresse en particulier à la jeunesse – l’éthique qui est la source de toutes les valeurs qui ont noms : défense des droits des citoyens, respect des siens et des autres, perfectionnement moral et spirituel, dépassement de soi, et patriotisme qui font de l’être humain, cette créature verticale infiniment sublime dans sa quête perpétuelle de la connaissance et de l’idéal.

Nous savons que de telles aspirations ne peuvent entrer dans les faits que si le peuple sénégalais fait siennes les dispositions de la Charte, et c’est pour y œuvrer avec toute la force de leurs convictions et toute leur énergie, que les participants aux Assises ont décidé de maintenir les structures des Assises jusqu’à la mise en place du Comité de suivi prévu dans la Charte.

Nous devons nous rendre à l’évidence aussi que tout redressement de la situation actuelle de notre pays exige un consensus fort de toutes les forces vives de la nation. Car il nous faut un Etat organisé, rompant avec l’improvisation et agissant selon un plan méthodique et une approche prospective. Nous le savons tous, les problèmes de demain sont en germe dans les situations d’aujourd’hui, et les situations d’aujourd’hui, quand elles sont déséquilibrées, sont souvent la conséquence du manque de prévision et d’action d’hier.

Nous savons aussi, et ce sera ma conclusion, qu’il n’y a pas, dans la vie d’un peuple, de situations qui ne puissent changer. Tout peut changer, mais rien ne changera sans l’effort des volontés de tous ceux dont le destin est en cause. Notre destin n’est inscrit dans aucune fatalité. C’est à nous qu’il appartient de le forger pour nous-mêmes, et par nous-mêmes, et pour l’avenir de nos enfants et de nos petits enfants. Mais l’avenir on le fait, et on le fait dès maintenant, en commençant d’abord par résoudre les problèmes d’aujourd’hui et en menant des actions pouvant influencer positivement l’évolution ultérieure. Je vous remercie de votre attention.

Amadou Mahtar MBOW, Dakar, le 24 mai 2009