|
Amadou Mahtar Mbow
|
|
Amadou Mahtar Mbow
« Une vie au service de l’émancipation des peuples et du Panafricanisme »
Emancipation et panafricanisme, tels pourraient être les maîtres mots résumant l’action de toute une vie consacrée à lutter contre l’aliénation de son peuple. Dans l’interview qu’il nous a accordée, M. MBOW, partant de son itinéraire, nous livre les éléments structurants de sa génération et les débats qui les ont traversés.
Il fait partie de cette génération du « Soleil des indépendances », pour paraphraser Ahmadou KOUROUMA, qui a contribué activement à l’indépendance de nos pays et à la construction des Etats-Nations. Cela rend encore plus pertinent, des décennies après, le regard qu’il porte sur l’évolution du continent africain.
Continent qui, très vite, est devenu celui des paradoxes avec une richesse de son sol, de ses ressources humaines mais incapable de nourrir du « suc de sa terre », nombre de ses enfants. Un continent parcouru de conflits où les « grands » de ce monde ont ou ont eu leur mot à dire mais qui reste à la marge des flux économiques et financiers. Un continent qui dispose d’une biodiversité dans laquelle puisent les groupes multinationaux pharmaceutiques mais qui voit ses filles et fils mourir de paludisme, de sida ou de maladies qui n’existent presque plus dans d’autres contrées. D’où toute l’actualité de son combat, voire la nécessaire réactualisation des idéaux qu’il partage avec ses camarades d’alors tel Abdoulaye LY, Louis BEHANZIN.
La trajectoire de cette éminente personnalité, humble, mesurée et au regard pétillant qui montre le chemin aux générations actuelles et futures, c’est celle de la lutte pour la libération. La libération de l’Europe d’abord au moment de la grande guerre de 1939 - contre le fascisme et le nazisme - mais surtout celle de l’Afrique, partant de la prise de conscience de la tentative d’asservissement du système colonial, de la double exploitation économique et culturelle, des « réalités de ce monde » appelant l’enracinement de l’Africain dans sa culture et son Histoire. C’est encore cette conscience historique qui lui ouvre les portes du militantisme et qui le rend sensible à l’importance du savoir, aussi bien technique que politique : l’accès à la connaissance comme moyen de dépassement de « la condition humaine ». C’est toujours elle qui l’inscrit dans cette communauté de cœur et d’esprit d’avec la diaspora africaine rompue un moment par la traite négrière.
Cette prise de conscience se double d’une acuité de la question sociale. La situation des Africains est celle de subordonnés ou de subalternes qui, bien que vivant chez eux, voient finalement leur destin maîtrisé par une minorité de colons qui s’approprient leurs ressources et les utilisent en fonction des besoins de la « métropole ». C’est le pourquoi de son implication dans la lutte pour l’indépendance : « changer les conditions de nos peuples », nous dit-il. Pour ce faire, le combat politique est un moyen d’améliorer ces conditions. Cette bataille est d’inspiration socialiste. Il s’agit de partir du communautarisme - entendu ici comme mode d’organisation sociale qui met, voire qui impose le groupe, les valeurs de partage au cœur de ce que la société considère comme essentiel à sa survie - pour moderniser les rapports économiques et sociaux.
Dans ce cheminement, les voies ne sont pas les mêmes. Alors que certains de sa génération s’engagent avec la SFIO (ancêtre du Parti socialiste français) ou le Parti communiste français (Léopold Sedar SENGHOR, Houphouët BOIGNY…) faisant ainsi le choix de l’Union française, il fait un choix autre en dehors de cette union, avec Falilou DIOP, Cheikh FALL, Abdoul Aziz WANE et bien d’autres, considérant celle-ci comme un leurre et que le système colonial était un système dépassé.
Durant cette période, il mène parallèlement à son militantisme politique, ses activités dans l’éducation de base. C’est assurément un autre moyen à ses yeux de continuer la lutte pour l’émancipation, dans ses aspects cognitifs.
L’évolution du continent, avec les luttes de libération nationale à Madagascar ou en Algérie, ainsi que la concurrence entre les différents partis politiques au Sénégal, finirent de le convaincre de l’importance de l’unité et du danger de la division dans le combat contre l’oppression. Sa principale préoccupation est d’éviter le « diviser pour mieux régner des colons ». C’est en ce sens qu’au milieu des années 50, à l’occasion des élections territoriales il fait partie de ces négociateurs qui vont contribuer à l’avènement de l’Union Progressiste Sénégalaise - UPS (qui tient lieu de section sénégalaise du Parti du Regroupement Africain – PRA, parti fédéraliste à la différence du RDA affublé du terme territorialiste). Il est membre du premier gouvernement autonome dirigé par Mamadou DIA comme ministre de l’Education Nationale. Il a deux principales questions : comment construire un Etat à partir d’une administration coloniale et une Nation à partir de l’Etat, d’une part, et, d’autre part, comment changer les conditions économiques de notre Nation.
Sa rupture avec l’UPS est consommée au moment du vote sur le référendum de 1958 posant la question du maintien ou non de la Communauté avec la France. Alors que la grande majorité, bien que de façon ambiguë, (DIA et SENGHOR sont absents au moment de la visite de De GAULLE) appelle à voter oui, Amadou-Mahtar MBOW, considérant que les accords signés empêchent toute émancipation économique et politique, s’y oppose. Il estime qu’il faut rompre avec le système économique et financier tel qu’il est, et préserver les intérêts stratégiques du Sénégal. Pour lui l’unité, qui est au cœur de ses préoccupations, ne signifie nullement renonciation à ses idéaux ; pour réussir, elle ne peut que servir l’intérêt général et n’avoir comme socle que la vérité et la sincérité.
Il est présent au moment de porter le PRA Sénégal, après la scission avec l’UPS, sur les fonts baptismaux. Ce sont les différentes crises politiques, celle de 1962 avec le conflit DIA – SENGHOR, celle des élections de 1963 et la répression qui a suivi etc. qui, à nouveau, l’amènent avec ses camarades à rechercher l’unité afin de préserver le pays. Il retrouve le ministère de l’Education Nationale en pleine crise universitaire. Il continue de prôner haut et fort, mais en vain, la rupture avec le système d’économie rentière héritée de la colonisation.
En 1974, il devient Directeur général de l’UNESCO, l’organisation des Nations Unies pour les Sciences, la Culture et l’Education jusqu’en 1987.
Amadou-Mahtar MBOW attache une importance particulière à l’éducation scientifique et technique. C’est, selon lui, un des facteurs de l’évolution qu’ont connu ces dernières années, les pays asiatiques. En outre, pour sortir nos pays de la pauvreté, il faut, de son point de vue, une vision, un savoir-faire et de la volonté. Coímå él le dit, ce ne sont ni les pessimistes ni les sceptiques qui le permettront. Le message qu’il adresse aux générations actuelles et futures c’est de « ne jamais désespérer de soi ». Toute chose dans ce bas-monde a un prix. Pour sortir notre pays de l’impasse du`sous-développem%nt, il faut du travail, de l’effort en fonction d’objectifs clairs et utiliser les compétences des filles et fils du pays.
Voilà une trajectoire, des convictions, des mots, un regard qu’il convient de retenir et mûrir largement et longuement afin de procéder aux ruptures nécessaires qui permettront de mettre, enfin et une fois pour toutes, notre continent sur les rails du bien-être et de la dignité.
Magatte-Lô Sow
Club Socialisme et République
| |
|
|
|
|
|
|
|